Les régles de Mix'Art

Toulouse Mag mars 2003

 

Depuis sa création, Mix'art divise. De squat artistique en association structurée, le collectif toulousain a pourtant imposé sa griffe dans le paysage culturel de la ville. Ses partisans parlent de mouvement organisé et productif, ses détracteurs de foutoir anarchique et stérile. Pour se faire une idée, Toulouse Mag a rendu visite à ces artistes, toujours menacés d'expulsion.

Les murs, fussent-ils préfectoraux, ont une âme et une mémoire. C'est du moins ce que prétendent certains artistes de l'association Mix'Art Myrys, qui reconnaissent l'influence de la bâtisse sur leur façon de créer. Ainsi l'esprit du bâtiment court-il le long de ses couloirs immenses, parmi ses 8 000 rn2 d'anciens bureaux cloisonnés, ses kilomètres de couloir et ses marches usées par des années d'allers et venues de fonctionnaires de la République.

Si ce beau bâtiment possède une âme, le changement de locataire à dû occasionner chez lui un sacré coup de jeune, à l'image de la salle des cartes grises, où les employées grisonnantes et irascibles ont laissé place à un espace de création où le tourbillon coloré de tagueurs amerloques côtoie la peinture faussement naïve d'artistes salvadoriens.

Bientôt trois ans que les gars de Myrys ont posé leurs valises ici, trois ans que l'administratif s'est évanoui au profit du créatif. Les milliers de Toulousains qui ont déjà poussé la porte du siège préfectoral de Mix'Art le savent, ici l'espace est sacré, et tout est mis en œuvre pour l'occuper habilement. Car aussi étonnant que cela puisse paraître, les places sont rares. Il faut dire que la ville de Toulouse n'est pas connue pour sa passion pour la culture underground, alors qu'elle regorge d'artistes en quête d'atelier.

 

Interactions

 

Illustration dès le rez-de-chaussée avec Sébastien, un jeune créateur assis en tailleur qui travaille la céramique à même le sol « Pour être honnête, je suis venu ici car c'est le seul atelier ouvert à tous dans cette ville. Bien sûr si tu es un peu friqué, tu peux louer un appart et t y installer. Si ce n'est pas le cas... La seule solution c'est Myrys. Pourtant ici, le plus précieux c'est pas les murs, mais le contact avec les autres artistes. Ça me permet de progresser »

Voilà de quoi satisfaire le coordinateur de l'association, Joël Lécussan, pour qui l'interaction artistique relève du sacerdoce: « Mix'Art, c'est un état d'esprit. On n'aime pas trop les consommateurs d'espace qui n'ont que faire de leurs voisins. L'important c'est l'échange et l'enrichissement mutuel. Il ne s'agit pas de louer des ateliers individuels mais d'initier des interactions entre les artistes. »

Pour faire de ce projet une réalité, les responsables de l'association ont dû fixer des règles précises et organiser la vie de cette communauté artistique avec plus de rigueur qu'il n'y paraît. D'abord respecter les engagements pris auprès du Rectorat, propriétaire des lieux: pas de dégradation, pas de modification des volumes, pas de suppression de cloisons ni d'aménagement trop conséquent.

Ensuite, respect du travail et du matériel d'autrui les locataires du bâtiment s'engagent à mettre leur matériel à disposition de leurs voisins et à disposer de celui des autres avec parcimonie. Enfin, respect de l'objet de l'association et participation à la vie de la communauté.

 

Réglementation

 

Faire appliquer ces règles tout en respectant la liberté inhérente à la pratique de l'art est un exercice de style plutôt ardu. Ceux qui voient en Myrys l'expression moderne d'un bordel organisé inspiré des communautés baba cool de jadis peuvent revoir leur jugement Mix'Art est une association terriblement réglementée.

Chacune des trois disciplines pratiquées (arts plastiques, spectacles vivants et audiovisuel) est gérée par un binôme de référents qui relaient les problèmes éventuels, facilitent les rencontres et assurent le suivi des projets artistiques. D'autres référents gèrent la vie et l'intendance de chacun des cinq étages du bâtiment. Un minimum pour permettre aux 400 artistes de s'épanouir dans la centaine de pièces que compte cet ancien palais de la paperasse.

Dans une pièce du rez-de-chaussée appelée bocal, un cahier d 'intendance permet de consigner les ampoules grillées, le matériel à acquérir et le tout venant. Au deuxième étage, un bureau informatisé gère la dizaine de demandes d'atelier hebdomadaire, les participations aux festivals et les sollicitations extérieures... Le centre névralgique de cette fourmilière où l'on peint, sculpte et filme pour la beauté du geste, le lien social ou la pédagogie.

 

Concessions

 

L'organisation méticuleuse de l'association témoigne de la volonté de Mix'Art. de bien faire, mais aussi de prouver sa bonne foi aux autorités. Un état d 'esprit parfois déconcertant tant il balance systématiquement entre rébellion et concessions. Ainsi, à l'arrivée d'un journaliste, on s'empresse de lui expliquer que la drogue est proscrite; puis, au hasard d'un couloir, on tombe sur une affiche arborant une feuille de cannabis et un slogan sans appel : « Ne nous cachons plus ! »

Idem lorsqu'il s'agit de justifier l'existence d'une telle structure. Comme si le succès évident de toutes les opérations organisées par Myrys ne suffisait pas à prouver son utilité, ses responsables sont coutumiers des phrases toutes faites dignes des

technocrates de Bruxelles : « Notre principe essentiel c'est l'autogestion, la mutualisation des moyens pour placer l'artiste au centre de la structure. »

Des mots bien compliqués pour expliquer que des artistes qui veulent créer en marge des institutions se serrent les coudes pour offrir aux Toulousains une alternative à la culture bourgeoise et convenue.

Dommage, donc, qu'une bonne partie de l'énergie des membres de Mix'Art soit dépensée dans la quête d'une solution de relogement. Les problèmes ne manquent pas, surtout lorsqu'il s'agit d'assurer la pérennité de l'association « Ce qui nous manque aujourd'hui, c'est une forme de légalité qui nous permettrait de nous concentrer sur autre chose que les procédures. Nous manquons cruellement de moyens. Les cotisations symboliques ne suffisent pas à assurer le fonctionnement de l'association et nous aurions besoin de deux emplois salariés en plus des deux postes existant à ce jour » confie Joël Lecussan.

Installée au cœur de la ville, impliquée dans des combats politiques et associatifs, plébiscitée par le public, appréciée des commerçants et de la grande majorité du voisinage, Mix'Art semble aujourd'hui indispensable à l'équilibre culturel de Toulouse. Parfaitement intégré dans le Toulouse alternatif, celui de Motivé-e-s et du

Takticollectif, courtisé au-delà des frontières par une multitude d'associations, Mix'Art participe désormais au rayonnement de la ville. Hôte de TV Bruits, de La Ménagerie et d'une multitude de structures associatives et artistiques, l'association profite aussi bien aux artistes confirmés qu'elle expose qu'aux débutants qu'elle guide.

Née sur les cendres d'une usine, la mouvance Myrys semble avoir trouvé à l'ancienne préfecture un brin de maturité. Reste à trouver le lieu adéquat pour passer à l'âge adulte...